Amnesiac

EPISODE 1 : Lisa

Tel un fruit putride, ma vie est depuis longtemps tombée en décomposition. Le plus difficile a toujours été de supporter ma propre odeur. C'est compliqué de vivre quand on pue mort. Mes parents sont morts. Mes proches sont morts. Comme le regretté Guy Bedos le disait, « j'ai l'impression d'avoir un cimetière dans la tête ». Mais la comparaison avec l'humoriste s'arrête là. Mon fonds de commerce à moi, c'est plutôt le cynisme, la cruauté et surtout l'ennui. D'ailleurs au départ, c'est sans doute parce que je trouvais le monde profondément ennuyeux que j'ai doucement, délicatement basculé dans l'horreur.

Stérile, incapable de donner la vie, je n'ai pas choisi de donner la mort, c'est elle qui m'a choisi. Encore une histoire de tueur en série me direz-vous ? Oui, mais pas n'importe laquelle, celle d'un salaud amnésique qui tue pour se souvenir des belles choses de la vie. Oui, je suis un légume, un fruit pourri incapable de me souvenir de ma propre existence. A ce terrible mal, je n'ai trouvé qu'un seul remède : ôter la vie d'autrui !

Tuer est pour moi un geste vital. Cela ne me procure aucune émotion, aucune excitation particulière, preuve s'il en faut de mon extrême déviance. Je tue de sang-froid, de la manière la plus choquante possible ; non pas pour me sustenter, rassurez-vous je ne suis pas cannibale, mais pour nourrir mon esprit.

À mesure que je sens l'âme de ma victime s'évaporer, mes souvenirs les plus doux me reviennent : le sourire de ma grand-mère, mon premier baiser... Puis, c'est ma vie fragmentée qui occupe à nouveau mon esprit.

Pour ne pas perdre la mémoire, je n'aie pas d'autre choix que de tuer et tuer encore. Il m'arrive bien sûr de faire des pauses. Mais inévitablement, après quelques semaines, quelques mois, quelques années tout au plus, ma mémoire me joue à nouveau des tours. Ma vie se désagrège peu à peu et il ne me reste alors en tête, que les souvenirs ennuyeux et répétitifs de tous les meurtres que j'ai commis, qui tournent en boucle dans mon esprit, comme une journée sans fin.

J'ai décidé il y a peu de combattre le mal par le mal en écrivant mes mémoires.

Vous qui lisez ce livre, qui écoutez ma voix, sachez désormais que vous êtes mes complices, car vous n'imaginez pas combien de femmes, d'hommes et d'enfants j'ai dû massacrer pour me souvenir aussi précisément de ma vie...